Le Xiyou Ji, on prend les mêmes et on recommence (43 fois)

J'ai déjà évoqué ma passion malsaine pour la littérature classique chinoise, mais elle a des origines compliquées. Jeune, j'ai développé une obsession pour les humains à queue de singe, non pas à cause de Dragon Ball (mais on y reviendra) comme on pourrait s'y attendre, mais à cause de Final Fantasy 9 et de son héros Zidane Tribale. J'ai depuis intégré dans mon Univers de fiction dont je vous parlerai un jour quand l'occasion se présentera de telles créatures, que j'ai dénommé "hinmes". Je leur ai alors créé une origine mythologique basée sur Hanuman le dieu singe hindou et surtout Le Roi Singe, connu aussi sous le nom de Son Goku (je vous avais prévenu).

Tiens, parlons-en du Roi Singe. J'avais découvert ses aventures dans une compilation de texte sur le singe et sa malice, et je n'avais dès lors plus qu'une idée en tête : mettre la main sur l'ouvrage traitant de ses exploits. J'ai alors découvert que l'ouvrage en question, Pérégrination vers l'Ouest, ou Xiyou Ji en chinois, ne se trouvait que dans des ouvrages de la Pléiade.

Or la Pléiade, c'est assez particulier. Livres reliés de plus de mille pages sur papier bible, c'est une édition prestigieuse MAIS relativement accessible. Néanmoins, chaque tome coûte environ 60€, et le Xiyou Ji en compte deux, ce qui m'a longtemps empêchée de les acquérir en raison de leur prix. Il leur fallut pour ça que j'ai mes premiers emplois pour avoir suffisamment d'argent pour me permettre de les acheter, et encore, j'ai été obligée de les prendre un par un sur plus d'un an.

Le fameux bestiaux.

 

Ca fait beaucoup d'informations avant d'entrer dans le vif du sujet, mais le point sur lequel je voulais attirer votre attention est que cela n'est pas une oeuvre facile d'accès. Et c'est loin d'être tout.

En effet, texte mythologique chinois du 16ème siècle, il s’appuie sur un support culturel extrêmement dense et hermétique pour un lecteur occidental moderne. A cela il faut ajouter un style archaïque, pompeux et lourd, pas aidé par une traduction assez déplaisante mais j'y reviendrai.

Mais trêve de blabla, de quoi ça cause exactement ? Suite à un rêve dans lequel il décapite un dragon, l'empereur de Chine se retrouve précipité dans les Enfers mais finalement il en ressort au bout d'une centaine de pages (j'insiste, on a même pas encore commencé l'intrigue à ce stade). Ressuscité, il décide d'envoyer un brave chercher des mantras en Inde. Le pas très courageux mais dévoué moine Tripitaka se porte volontaire et part à l'aventure. Il découvrira sur la route trois braves guerriers pour l'épauler, dont le Roi Singe, et là je vais être obligée de m'arrêter un instant.

En effet, j'ai dit que la traduction française n'était pas très heureuse. Et bien sachez que dans la VF, Sun Wukong/Son Goku a été baptisé... Singet. Et tant qu'à faire, ses deux compagnons sont nommés Porcet et Sablet. C''est un peu comme si on rebaptisait Squirrel Girl en Ecureuillette, ça serait n'importe quoi.

Oui bon voilà.

 

Je ne résiste pas d'ailleurs à vous livrer le passage où il obtient son nom pour que vous voyez ce que ça donne en action : "(...) Je vais te trouver un nom en rapport avec ta personne. J'ai pensé a "hu" qui veut dire "singe", si on enlève à ce caractère la clé des animaux, il reste les deux éléments "ancien" et "lune", ce qui donne "vielle femelle", puisque ancien signifie vieux et que la lune est du féminin; mais une vieille femelle ne saurait avoir de progéniture. Mieux vaut t'appeler par un autre nom du singe, par exemple "sun". Si on enleve la clé des animaux, il reste les éléments "garcon" et "cordon", le cordon ombilical... Voila qui correspond parfaitement a la theorie de la bébéitude. Je t'appellerai donc "Singet"." 

En gros.

 

A la vue de ce court passage vous aurez pu avoir une idée à la fois du style ampoulé et des références cryptiques qui parsèment l'oeuvre. Mais Pérégrinations vers l'Ouest, ça n'est que des considérations taoïstes ésotériques, c'est aussi un roman d'aventures, et même un des plus vieux qu'il nous reste. Or que se passe-t-il dans cette oeuvre me direz-vous ? Et bien malheureusement un peu toujours la même chose.

Le 1er quart de l'ouvrage est consacré à trois choses. La première est le récit du voyage aux Enfers de l'empereur comme nous le disions. Mais avant cela on se consacre à la jeunesse de Singet (oui bah désolée j'y ai eu droit sur 2000 pages y a pas de raison que je vous épargne ça, désormais pour vous aussi il s'appelle comme ça), où comment suite à sa rébellion face aux dieux il est enfermé sous une montagne pendant un demi-millénaire. Enfin, la fin de cette première partie est dédiée à la constitution de son équipe par Tripitaka peu après son départ, à savoir le recrutement des quatre andouilles, à savoir Singet, Porcet et Sablet ainsi que le cheval (qui est en fait un dragon parce que pourquoi pas).

Et c''est là que les choses se gâtent, car passée cette looooongue introduction, tout le reste, et je dis bien TOUT est la répétition d'une seule et même formule. Elle prend la forme suivante.

Singet et ses potes arrivent dans un nouvel endroit, mais il s'avère rapidement que celui-ci est au prise d'un démon local. Un piège idiot est fait pour capturer Tripitaka car consommer sa chair a la réputation de rallonger la vie de 10000 ans, et Singet met en garde le moine face à celui-ci, mais l'encore plus idiot Porcet convainque (facilement) Tripitaka que cela est sans danger, et le moine fonce tête baissée dedans et se fait capturer ainsi que toute la bande sauf Singet. Ce dernier part délivrer son maître et ses potes en se transformant en petite saloperie genre une mouche mais il se fait découvrir par le démon, une bataille s'en suit et Singet se trouve obligé de fuir. Il va alors demander un coup de main à la bodhisattva Guanyin qui lui donne un coup de pouce sur l'identité réelle du malfaisant. Fort de cette information, Singet retourne au repaire des vilains et vainque ainsi le démon. J'avais fait une synthèse circonstanciée de tout ça quand j'en étais à la fin du roman ici. Ceci dure environ 100 pages à chaque fois, vous répétez le tout jusqu'à la fin du livre soit ENVIRON 15 FOIS. J'vous jure 2000 pages de ça c'est épuisant.

Un mot rapidement sur Dragon Ball, qui est une adaptation "assez" libre du roman. Et quand je dis libre, j'entends par là que seul le 1er tome suit l'intrigue d'origine. Si on devait faire un parallèle avec la mythologie grecque, c'est comme si on faisait une BD sur Héraclès qui raconterait le premier de ses 12 travaux, et qu'on enchaînait ensuite avec un tournoi contre des cochons vikings de l'Espace (en rajoutant des blagues de caca pour faire bonne mesure). Et bah je dis HEUREUSEMENT, tellement une adaptation littérale aurait été indigeste. Encore une preuve du génie de Toriyama s'il en fallait encore une.

Comme souvent avec la littérature antique et moyenâgeuse; la forme a terriblement mal vieilli et n'a plus d'intérêt que pour l'imaginaire qui en découle, donc mon conseil personnel après avoir lu le Xiyou Ji, l'Odyssée, les Mille et Une Nuit, Au Bord de l'Eau ou les romans de Chrétiens de Troy : lire la mythologie dans le texte peut être intéressant pour la culture, mais franchement si vous êtes surtout curieux de la légende en général contentez-vous d'un résumé (même Wikipédia, ça fait souvent le job) parce que tous ces vieux machins poussiéreux sont complètement indigestes pour un lecteur moderne (j'y ai personnellement consacré beaucoup trop d'heures de ma vie).

Encore un article qui m'aura pris un peu de temps à écrire mais je m'en sors pas si mal pour une fois. A bientôt pour un nouvel article qui parlera de trucs un peu moins datés je l'espère.