De King of Fighters à Salty Bet

J'ai déjà fait part en ces lieux de mon amour des jeux de combats, mais pour les gens de ma génération qui ont grandit avec Street Fighter 2 cette passion est loin d'être isolée. On a en effet navigué dans la décennie des 90's entouré par une pléthore de jeu de stomba, adaptant toutes licences possibles et imaginables d'alors.

Ce jeu a vraiment existé. C'était Master of Teräs Käsi, et quoi qu'on vous en dise c'était pas si mal.

 

Le nombre de séries de l'époque à être devenues des classiques est phénoménal : Street Fighter évidemment, mais aussi Mortal Kombat, Tekken, Art of Fighting, Fatal Fury et j'en passe. Et c'est justement l'éditeur de ces deux dernières licences, SNK, qui s'est posé la question fatidique : et si on faisait combattre les personnages entre eux ? Ainsi est né King of Fighters, le 1er cross-over du genre. Ainsi était né une tendance qui ne faiblira plus jamais dans le domaine mais j'y reviendrai.

Avec l’essor des jeux de baston est rapidement arrivée une nouvelle tendance : la création et la personnalisation des softs du genre. On compte dès 1995 sur PC Fighter Maker 1995, puis sur Playstation Kakuge-Yaro Fighting Game Creator que je possède et que j'ai pu retester dernièrement pour vous en parler plus brièvement.

KYFG est à la base un jeu de fight sommes toutes assez classique, ne comprenant que le nombre dérisoire de sept combattants mais il y a une raison à cela. En effet le jeu présente un mode de création de personnages adoptant un parti-pris assez audacieux.

Ainsi, chaque personnage peut être configuré de façon assez poussée. Chaque coup (poing, pied, poing avant, pied avant, spéciaux, super etc.) doit être défini parmi une demie-douzaine de coups possibles, ayant chacun leurs sprites, caractéristiques, allonge, dégâts et j'en passe, rendant les personnages hautement modulables. Cela signifie donc que tous les personnages ont été créés par les concepteurs avec tous ces coups préexistants, ce qui explique le nombre assez faible de personnages étant donné la quantité de travail que cela a nécessité pour chaque. Ajoutez à cela que les personnages sont extrêmement costumisables, avec la possibilité de modifier leur palette de couleurs, leurs répliques, leurs stages et même leur thème musicaux, et on a affaire à un éditeur de personnages très complet.

On peut pousser la personnalisation assez loin, comme la colorimétrie de chaque zone du corps.

 

Evidemment, son manque de budget et sa réalisation pas exceptionnelle l'ont condamné à une obscurité quasi-totale, le soft n'étant jamais sorti des frontières nippones. Il est à noter que d'autres jeux permettent la création de personnages comme 2D Fighter Maker 95 ou encore Fighting Maker 3D mais je ne les ai pas testés aussi je ne me prononcerai pas dessus. Il est cependant probable que les bases de la création de personnages soient les mêmes, à savoir des coups prédéfinis à attribuer aux différents combattants, et tutti quanti.

A noter l'existence d'Arm Joe, un jeu de baston Les Misérables fait sous 2D Fighter Maker 95 qui va assez loin dans le délire.

 

Les éditeurs de personnages se sont ensuite démocratisés dans les jeux de combats, avec un niveau de finition éparse selon les jeux, allant du simple cosmétique comme dans les différents jeux de SNK étant sortis ou ressortis ces dernières années, voire à des choses plus complexes avec des personnages entièrement créables à partir de combinaisons de modèles préexistants, comme dans la série Soul Calibur qui est assez réputée pour cela.

Un jeu, ou plutôt un logiciel, a cependant pris le rebours de toute cette tendance. Dans la continuité logique de RPG Maker dont la série avait commencé quelques années auparavant, Mugen est un moteur de création de jeux de combats entièrement configurable. Loin d'être un conteneur pré-déterminé, Mugen attend de ses utilisateurs d'être nourri avec des assets, des scripts et du contenu en général plus ou moins inédit, permettant de créer à partir de rien un jeu entier.

L'apparition de Mugen a permis deux choses totalement antagonistes. D'une part il a permis la création de jeux amateurs entièrement inédits, certains étant tellement avancés qu'ils ont même eu le droit à une commercialisation - sous forme de doujins généralement, soient des projets amateurs.

The Black Heart, un des plus fameux jeux originaux fait entièrement sous Mugen.

 

Mais LA raison d'exister de Mugen aura été finalement de permettre les plus grands cross-over que la Terre puisse imaginer, soit en insérant les personnages de licences de jeux de baston en récupérant les sprites préexistants et en récrivant leurs scripts pour les insérer; soit en créant de toutes pièces des personnages jouables pour des personnages issus de licence non liées aux jeux de stomba, par toutes les méthodes possibles et imaginables : insertion de photos ou sprites de jeux préexistants, vampirisation de sprites, dessins originaux, tout y est passé, la création n'a aucune limite. Et toujours en insérant les scripts d'IA, de coups et consorts qui vont bien.

Toutes les licences y sont passées : One Piece, Naruto, Les Chevaliers de Zodiac, et j'en passe. Egalement, on a le droit à des cross-overs complètement dément, tels Street Fighter X Mortal X DC Comics et ainsi de suite, tel que si Mugen avait été un outil moins confidentiel il aurait donné des cauchemars à tous les services juridiques de toutes les grandes propriétés intellectuelles du monde entier. En un sens, heureusement qu'il concernait un média de niche car sinon il eu été évident que jamais une telle scène aussi foisonnante n'aurait pas rester en place bien longtemps.

Y a aussi CE genre de cross-overs (néanmoins celui-ci n'existe - malheureusement - pas).

 

Mais à force de mélanger tout et n'importe quoi ensemble, on a plus vraiment su vraiment où donner de la tête. Après tout, si tout est possible, est-ce que la moindre chose a encore la moindre importance ? Des années à se faire combattre les personnages les plus aléatoires a fini par éroder la subversivité des rencontres des personnages les plus fantasques, d'autant qu'après avoir intégré les icônes les plus diverses, on leur fait prendre les formes les plus grotesques possibles : gold, dark, SD, tout ce qui est imaginable.

Dès lors, si toutes les légendes existent, pourquoi ne pas les faire coexister ensembles et se faire affronter les unes les autres pour toujours ? C'est en partant de ce constat qu'est né le site Salty Bet. 

Salty Bet, c'est un site de pari en ligne et de streaming de combat aléatoire avec TOUT ce qui est possible dans Mugen. Ainsi, par vagues successives les héros s'affrontent les uns les autres sous les acclamations d'un public de parieurs compulsif. Salty Bet, c'est un renouvellement perpétuel de combats entre individus qui n'auraient jamais dû se rencontrer.

Salty Bet, c'est parfois littéralement juste le match entre un four et un frigo, parce que pourquoi pas.

 

Dès lors, comment aller plus loin ? Le post-modernisme de Salty Bet dans le domaine du jeu de combat est allé tellement loin dans le méta que toute escalade semble impossible. On peut d'ores et déjà estimer que le genre est arrivé à son étape artistique finale et que toute tentative de le faire évoluer plus est voué à l'échec. 

Ce qui ne veut pas dire que le jeu de combat est fini. Simplement, il n'est plus que voué qu'à l'éternel recommencement, même s'il va toujours se perfectionnant depuis Street Fighter 2. Mais après tout, ça n'est pas grave. Ca n'est pas parce qu'il n'a plus rien à dire qu'il va s'arrêter de parler, et de faire parler de lui.

Long Live the King, et à jamais dans nos coeurs !